Dans ma dernière chronique, Haro sur le baudet, parue dans le Journal du Gers le 26 septembre, je m’inquiétais déjà de la situation en Catalogne. Nous sommes le 2 octobre et, voisins de l’Espagne et de la Catalogne, nous garderons en mémoire les terribles images de ce sombre dimanche. Au cœur de l’Europe, il est interdit de voter. La question ici n’est pas de prendre parti pour ou contre l’indépendance mais bien de relire la journée d’hier à la lumière de l’histoire récente. Pour ce faire, je vous propose de découvrir le résumé d’un article de Carles Boix, professeur de sciences-politiques à l’université de Princeton. Cet article Cataluña, en busca de garantías políticas: el referéndum del 1 de octubre a été publié le 25 septembre dernier dans la revue Jotdown. Pour les hispanophones, je vous conseille d’oublier mon résumé et d’aller directement à la source.
1- Carles Boix débute son article en comparant deux modèles d’États: la France qui demeure aux yeux du professeur un modèle d’État centralisé et la Suisse, fédéralisme cantonal où le citoyen est étroitement impliqué dans la procédure de vote. Entre ces deux modèles, un panel de variantes s’offre aux peuples et aux dirigeants.
Fortement tentée par le modèle français, l’Espagne de la Castille et de l’Andalousie n’a pas été en mesure d’imposer cette solution. De son côté, la Catalogne, à l’instar de ce qui s’est passé en Italie où Milan et Turin ont imposées leur vision à Rome, n’a pas su s’emparer des rênes du pouvoir madrilène et proposer un modèle plus conforme à ses aspirations.
2- Ce double échec est à l’origine de pays malheureux. Aucune des deux entités, qu’elle soit majoritaire ou minoritaire ne parvient à se satisfaire pleinement de cette situation. L’auteur rappelle ainsi que pour Hegel, déjà, une relation de domination est toujours une relation malheureuse pour les deux membres parties à cette relation (Phénomélogie de l’esprit, 1807).
3-1 La seule voie qui apparaît alors comme possible est celle de la création d’une structure politique dans laquelle chacune des parties se situe sur un pied d’égalité.
3-2 La Constitution espagnole de 1978, écrite sous le regard sourcilleux de l’Armée, n’a pas su saisir l’opportunité présentée par l’Histoire en établissant un pacte constitutionnel à même de faire cohabiter, au sein de l’État espagnol, les diverses nationalités (en effet les « nacionalidades » y sont reconnues)1 . Un Tribunal Constitutionnel (composé de 12 membres dont 10 sont nommés par le pouvoir: sénat, chambre des députés et gouvernement) a également été mis en place afin d’éclairer la lecture de la Constitution. Cette instance, très politisée, représente la majorité espagnole et reproduit, voire même amplifie, le rapport de force inégalitaire décrit précédemment.
Afin de garantir les compétences des régions autonomes, la Constitution qui les porte sur les fonts baptismaux, a prévu un système de puissant verrou. Ainsi, chaque réforme touchant à ces compétences doit être approuvée à la fois par le Parlement Espagnol (las Cortes), par le Parlement de la région concernée et enfin par un vote favorable de la population de ladite région.
(Le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero a, entre 2005 et 2006, œuvré avec le Parlement Catalan, dirigé à l’époque par l’ancien maire de Barcelone, le socialiste catalan Pasqual Maragall, sur un nouveau statut d’autonomie. Ce statut a été triplement approuvé par Las Cortes, la Generalitat et par un référendum en Catalogne le 18 juin 2006. S’il est entré en vigueur le 9 août 2006, de manière concomitante, le Partido Popular, fermement opposé à cette réforme, déposa un recours devant le Tribunal Constitutionnel. Remarquons qu’à cet époque, le nouveau chef de ce parti n’est autre que Mariano Rajoy, actuel président du gouvernement espagnol).
Le 28 juin 2010, le Tribunal Constitutionnel censure une série d’articles et remet en cause le processus pourtant approuvé par les deux parlements et les catalans. C’est à partir de ce moment-là que la Catalogne entre en rébellion.
Ainsi, la contestation actuelle trouve sa source dans le désir de voir naître, enfin, une relation fondée sur la dignité, l’égalité et la liberté.
4- Pour les Catalans, la leçon de la période 1978-2010 est que la Catalogne demeure, malgré les efforts répétés, une minorité soumise au bon vouloir d’une majorité protégée par une structure constitutionnelle qui n’offre aucun espace de souveraineté. Pour autant, l’idée fédérale est-elle hors-jeu?
L’auteur examine une voie médiane entre la situation actuelle insatisfaisante et une indépendance pure et dure. Il évoque quatre types de fédéralisme en s’appuyant sur des modèles existants. Les trois premiers modèles (fédéralisme partageant la même identité nationale aux États-Unis, fédéralisme de blocs équilibrés en Belgique et fédéralisme sans majorité pour l’Union Européenne) ne peuvent s’appliquer en présence d’une nationalité amplement majoritaire amenée à cohabiter avec une ou plusieurs nationalités minoritaires. L’option retenue consiste donc à élaborer un fédéralisme asymétrique où une minorité nationale comme la Catalogne participe dans des conditions d’égalité avec la majorité à la décision et à l’exercice des décisions de l’État central. Une participation paritaire et partagée constituerait une solution appropriée afin d’éviter l’éclatement. Concrètement, cela se manifesterait par un partage des sièges dans la composition du pouvoir arbitral (en l’espèce le Tribunal Constitutionnel ) ou par un droit de veto afin de bloquer des décisions contraires à l’intérêt d’un des membres de cet État fédéral.
5- Le droit à l’autodétermination est une solution extrême qui permet à la minorité de s’échapper d’une situation de perpétuel abus. Ce droit ne peut se permettre d’être frivole. C’est un acte grave qui ne peut être exercé qu’à l’issue d’une période de négociation assidue entre la majorité et la minorité.
Selon l’auteur, ces conditions, après l’échec patent de 2010 et la non-reprise du dialogue par les gouvernements de Mariano Rajoy, étaient réunies. Ainsi, les élections régionales de septembre 2015 ont positionné au cœur la question du référendum d’autodétermination. La victoire de la coalition dirigée par Carles Puigdemont donnait alors pour mandat à ce président d’organiser une telle consultation. Était-elle contraire à la Constitution? A la lettre oui dans la mesure où la Constitution espagnole ne reconnaît pas le droit à l’autodétermination. Pourtant, elle ne l’interdit pas non plus. Carles Boix en appelle alors à la Cour Suprême du Canada et à son renvoi relatif à la sécession du Québec du 20 août 1998 : « La Constitution n’est pas uniquement un texte écrit. Elle englobe tout le système des règles et principes qui régissent l’exercice du pouvoir constitutionnel. Une lecture superficielle de certaines dispositions spécifiques du texte de la Constitution, sans plus, pourrait induire en erreur. Il faut faire un examen plus approfondi des principes sous‑jacents qui animent l’ensemble de notre Constitution, dont le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que le respect des minorités. Ces principes doivent guider notre appréciation globale des droits et obligations constitutionnels qui entreraient en jeu si une majorité claire de Québécois, en réponse à une question claire, votaient pour la sécession. »
Pour le professeur en sciences-politiques, cette interprétation généreuse trouverait également à s’appliquer dans le cas catalan. Cependant, la décision de déclarer l’indépendance est une décision différente que celle d’organiser un référendum. Ainsi, Carles Boix y voit davantage l’ultime possibilité de négocier, le jour suivant la consultation, une solution politique aux désaccords existants.
Carles Boix conclue son article par ces mots: « le référendum est, en définitive, une chance pour crée une relation d’égalité qui n’existe pas encore, et en fin de compte, une opportunité aussi bien pour l’Espagne et pour la Catalogne de se libérer de toutes les entraves et les servitudes qu’impose une relation injuste ».
1Les parties en italique constituent des ajouts de ma part afin de rendre le contexte, quelque peu méconnu en France, davantage intelligible.
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