Saty d’Amico, la pasionaria de l’art

Le nez proéminent,  une longue chevelure châtain clair plaquée sur son visage au teint violacé, deux yeux mi-clos, quasi-somnolents, rien n’illumine le visage de ce grand écrivain français de l’époque moderne. Normal me direz-vous, toute la lumière est absorbée par la blancheur de ce grand livre souillé uniquement de quelques tâches d’encre, ouvert avec nonchalance par l’écrivain au pantalon vert. Ce livre est l’objet central d’un tableau aux couleurs sombres, non dénué d’humour, comme en témoigne, au-dessus du bureau où s’entremêlent divers ouvrages, une toile représentant notamment un dog mauve si cher au plasticien Jeff Koons.

Portrait de Michel Houellebecq
Portrait de Michel Houellebecq. Nicolas Cluzel

« C’est une reprise modernisée du Portrait d’Emile Zola d’Edouard Manet » me glisse-t-on subrepticement. C’est vrai cela, dans les deux cas nous avons affaire aux mêmes jambes croisées de l’auteur sur un fauteuil duquel ressortent les mêmes clous tapissiers. Cependant, l’ambiance japonisante des œuvres d’art entourant l’auteur du J’accuse a laissé place à présent, à un art plus contemporain. Mais tout y est. Le Houellebecq de Nicolas Cluzel s’inscrit donc dans la continuité de la grande histoire des arts. Il nous propose ainsi une reprise des anciens, de Caravage à Manet avec une pointe d’humour  qui nous interroge sur le monde moderne. Tel ce jeune homme avec sa perche à selfie, heureux de se retrouver sur les lieux du dramatique Tres de Mayo de Goya.

« Ce que j’apprécie dans les oeuvres qui sont exposées ici, c’est cet écho de modernité. L’artiste se nourrit d’une histoire, de cette Histoire des arts qui est notre Histoire et nous montre notre époque avec son regard, sa sensibilité. » Saty d’Amico est la maîtresse des lieux, prêtresse des temps modernes. Arrivée en Gascogne avec son mari en 2002, elle a ouvert ce lieu magique trois ans plus tard, ancienne grange aux volets bleus, à deux pas de la bastide de Marciac, place qui bruisse de mille sonorités lorsque s’élève en été le chapiteau du festival de jazz.

« L’été est une période compliquée. Les visiteurs vont et viennent par centaines, par milliers et il faut être omniprésente, expliquer, courir pour protéger les œuvres. L’an passé, j’exposais des sculptures en ouate. Il fallait prendre garde à ce que personne ne les abîme. »

Saty d’Amico est une petite dame, chevelure bouclée et argentée, lunettes cerclées de noir encadrant des yeux joyeux et à l’espièglerie enfantine. Elle est tout aussi opiniâtre que l’âne, me dit-elle, et ne cède qu’à l’épuisement. En effet, nous ne l’imaginons pas abandonner aisément, elle qui consacre son temps, son argent, sa joie de vivre à l’accueil d’artistes et de visiteurs. Le programme d’accueil est bouclé jusqu’en 2020, « il ne serait pas sérieux de s’engager au-delà » me confie-t-elle. Les après-midi, lorsqu’un artiste est exposé, elle est là, fidèle, bénévole, prête à accueillir, tasse et sous-tasse à la main – so chic my lady ! – le passager curieux et désireux de s’embarquer dans un voyage artistique. Et avec Saty, il n’est pas question de capitaine de pédalo : elle dispose de la finesse du capitaine de voilier et  du sérieux de celui de paquebot.

« C’est gratuit. Il suffit seulement de sortir de chez de soi, de prendre le temps du plaisir, de la découverte et franchir la porte. » Je vous assure que c’est véridique : quoi de plus simple que de traverser le jardin, laisser sur sa droite le magnifique lilas mauve, franchir le seuil et poser ses pieds sur des tomettes d’époque. Vous levez alors le regard et vous élevez votre âme. Si elle se trouve endormie ou quelque peu engourdie par le bien vivre gascon, n’ayez crainte, Saty sera là pour vous guider.

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Tiens, justement, deux dames franchissent la porte. Embrassade, joie de vivre. Je les abandonne à leurs retrouvailles. Depuis un mois, la galerie a pris de la hauteur et à l’étage, une pièce chaleureuse et cosy accueille le visiteur dans le cabinet de curiosité de la  maîtresse des lieux. Des artistes exposés et aimés déposent ici quelques toiles parmi lesquelles nous pouvons retrouver Rémi Trotereau, Etienne Gros, Michel Roty. Autant d’artistes et d’univers singuliers. Me reviennent en mémoire les propos de Saty : « Art brut, expressionisme, la peinture et l’art suivent aussi des effets de mode. A un moment donné, une kyrielle d’artistes s’emparent d’un style qu’ils pensent prometteur et vendeur. Le temps s’écoule et seuls les meilleurs demeurent. » Quel bonheur alors que de les retrouver ici.

Je me perds dans la contemplation d’une toile aux tons verts, au centre de laquelle une femme, fragile, presque diaphane dans sa robe légère, regarde sur sa gauche. Je suis son regard et retrouve Saty d’Amico, apparue par enchantement: « C’est de Sarah Malan. J’avais vu son travail il y a longtemps et j’avais noté son nom sur un ticket de métro. Je l’ai retrouvée par hasard et lui ai proposé de venir. Elle a donc exposé en 2009. »

Nous redescendons, le thé n’attend plus que nous. « Je suis contente, une oeuvre de Daniel Livartowski vient d’être vendue. Quel plaisir lorsqu’un artiste parvient à vendre. C’est important pour eux. L’art doit vivre et pour qu’il puisse vivre, des regards extérieurs doivent s’emparer de lui… et aussi quelques acheteurs. » Elle, qui, tour à tour, repère les artistes, les défend, les expose, quel est son rôle lorsque surgit un potentiel acheteur ? « Parfois, certains viennent me voir et m’annoncent acheter telle toile, comme cela, de but en blanc ; c’est un coup de foudre. D’autres fois, lorsque la rencontre entre l’oeuvre et l’artiste se fait, la galeriste doit être là, non pas pour inciter mais pour accompagner la rencontre. Dans tous les cas, c’est toujours l’histoire d’une rencontre entre une toile et un esthète. »

De son époque parisienne, Saty d’Amico conserve de nombreux souvenirs de dessins. Elle aime les arts, les fréquenter et les pratiquer. Avec autant de passion, elle ne pouvait qu’être artiste elle aussi. Elle me raconte ses dimanches, lorsque le Louvre, gratuit, lui ouvrait ses portes et qu’elle s’y aventurait, crayon à la main, afin d’apprendre à l’ombre des maîtres. « On commence toujours par copier, recopier. C’est ainsi que l’on apprend. Ensuite, on trace son chemin. »

Pour notre bonheur, le sien l’a mené jusqu’ici. Elle aime la matière et adore transmettre son goût aux jeunes : ateliers de pratique avec les enfants de la maternelle, visites organisées avec le professeur d’arts plastiques du collège pour les élèves des différentes classes. Apprendre à regarder pour entrer et comprendre une toile. Déceler d’où vient la lumière, faire de chaque détail un essentiel. Concentration. « Le tigre devant sa proie ». Il faut être ainsi, consacré pleinement à son objectif, apprendre à faire abstraction de tout ce qui nous entoure.

Aline, animatrice au centre de loisir qui emmène bien souvent les enfants à la galerie, nous a rejoint. De la concentration picturale, la conversation glisse vers le yoga et je me dis que oui, pour entrer en communion avec la beauté du monde, chacun d’entre nous doit faire oeuvre de concentration et s’élever au-delà de toute contingence futile.

Je repasse sous le lilas, portique mauve, et franchis le portillon. Cette galerie, dépositaire de l’âme, de la force et de la joie de Saty d’Amico vit et étincelle comme un joyaux dans son écrin marciacais. A bientôt Ane Bleu.

           ******

La meilleure façon de vous rendre compte de tout ceci, c’est de vous y rendre. Vous verrez, c’est facile !

La galerie de L’Ane Bleu se trouve au 19 bis rue Saint Pierre à Marciac. Elle est ouverte, en période d’exposition, du mercredi au dimanche, de 15h à 19h.

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